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UTMB 2013 (168km – 9.800+) : un truc à dormir debout !

UTMB : l’acronyme fait rêver les traileurs du monde entier, à tel point que certains en font le but d’une vie.
J’ai découvert cette épreuve en 2008, année où le jeune Kilian Jornet s’imposait à la surprise générale, secouant le milieu du Trail et faisant entrer ce sport dans une ère populaire et marketing.
UTMB : 4 lettres qui résonnent depuis mes débuts en Trail comme un jalon, un truc à cocher. 
Pas une fin en soi, mais une étape à atteindre, pour devenir un coureur polyvalent et accompli.

Un mélange entre machine à fric et course traditionnelle

C’est en janvier 2013, 8 mois avant l’échéance et après avoir été recalé en 2012, que j’apprends que je fais enfin partie des heureux élus pour participer à ce savant mélange entre course traditionnelle et incontournable et machine à fric irritante.
Mais, obtenir son sésame ne garantit en rien que l’n va faire le tour du toit de l’Europe. Le parcours original de 168km/9.600+ n’a pas été respecté depuis 2009, la faute à des conditions météo souvent catastrophiques fin août à Chamonix et à un principe de précaution désormais souverain dans le Trail.
Si vous lisez ce blog régulièrement, je vous ai raconté plus ou moins en détail ma préparation jusqu’au jour J. 
J’y ai même consacré un article complet, pour que vous puissiez avoir une idée de ce que cela représente.
L’année 2013 a été peu chargée en compétitions (Glaisins, Transvulcania, Tour des Glaciers de la Vanoise), mais bien remplie en volume et en nombre d’heures. J’aurais pu en faire plus mais je suis plutôt en confiance et me sens fort quelques jours avant la course.
Cette gestion des derniers jours avant l’épreuve me paraît primordiale. Bien se ressourcer, dormir beaucoup, manger sainement et ne pas se mettre de pression sont les maîtres mots de la dernière semaine de préparation. Enchaîner les kilomètres ne sert plus à rien : il faut être frais sur la ligne de départ.
La première épreuve de la course, c’est la remise des dossards le jeudi (veille de l’épreuve)… J’ai choisi une mauvaise heure et dois patienter quasiment 2h avant de recevoir mon précieux sésame. Contrôle d’identité, de matériel, retrait et fixation de la puce : on a plus l’impression de faire la queue au service des cartes grises que de récupérer un dossard de Trail !
Le salon des exposants est également un merveilleux endroit pour laisser des forces avant la bataille : j’y connais beaucoup beaucoup de monde et suis tenté d’aller échanger avec chacun. Alors, je fais vite et vais à l’essentiel, car je sais que quelques heures à piétiner en plein soleil peuvent se transformer en jambes de bois le lendemain.

Montée en pression avant le départ

Puis, enfin, le jour J arrive. L’attente jusqu’au sas de départ est fébrile et les heures défilent lentement. Le dernier repas est léger, les stocks de glycogène sont déjà dans le vert depuis longtemps, alors autant ne pas surcharger l’estomac… Cette course fait peur, et je suis en un sens rassuré d’avoir peur. C’est plein d’humilité que je pénètre dans l’aire de départ, aux alentours de 15h45 ce vendredi 31 août.
Ma stratégie est simple : partir très très cool jusqu’aux Contamines, accélérer un peu pendant la nuit et arriver frais à Courmayeur (km78), là où la vraie course démarre. Surtout, ne pas penser au classement jusque là.
Dans le sas, l’ambiance est tendue. Le speaker essaye désespérement de faire que chacun se donne la main pour avoir ses belles images, mais rien n’y fait ou presque : l’esprit Trail a ses limites et beaucoup (moi y compris) sont dans leur bulle, impatients que le manège démarre.

45 longues minutes plus tard, c’est la délivrance. Je suis dans les premières lignes et peux donc partir tranquille pour la grande parade dans les rues de Chamonix. L’ambiance est indescriptible et la foule nourrie, je profite à fond et me laisse doubler par des dizaines de coureurs euphoriques. Nous ne sommes que dans le tour de chauffe, alors autant profiter de l’ambiance…

L’hélicoptère qui suit la tête de course a déjà au moins 200m d’avance. Ce décor, ce monde, cette organisation : je prends enfin conscience que je participe à quelque chose de grand. Je me suis juré de ne pas me faire entraîner par le peloton et cours donc au frein à main jusqu’aux Houches (km 8). Jamais plus de 12km/h, plutôt autour de 10 ou 11.
Les autres concurrents ne sont pas de cet avis et je suis sidéré d’en voir certains à bout de souffle alors qu’ils partent pour 40h d’effort ou plus… En traversant le village, je croise Laura et Manue, à qui je confie que je suis impatient de commencer à monter.

30 kilomètres pour se mettre en jambes…ou les cramer !

Jusqu’au Delevret (1750m, km 14, 870D+), je connais très bien. Le col de Voza est vite avalé, et ensuite il reste 100m de dénivelé. Jamais dans le rouge, je suis en randonnée sportive. La descente raide vers Saint-Gervais est une découverte : très raide au départ, elle est plus ludique ensuite. Je trottine tout juste dans ce tobogan et me fais doubler par des furieux qui assassinent déjà leurs quadriceps… Respect !
Comme un ***, j’ai stressé et beaucoup transpiré dans le sas de départ et mes chaussettes font de vilains plis. J’espère qu’elles tiendront le coup car je ne peux pas en changer avant Courmayeur… 2 minutes ne feront pas de différence, alors je prends le temps d’enlever mes chaussures et de réajuster tout ça.
Déjà 21 bornes au compteur en 2h33 à Saint-Gervais !
Il en faudra 10 de plus pour rejoindre les Contamines, par un chemin qui n’a aucun intérêt, si ce n’est celui de faire passer la course par Saint-Gervais, au plus grand plaisir probablement de son maire ultra-médiatique.
Certains payent déjà leur départ fulgurant : les crampes et vomissements ne sont pas rares au bord du chemin !
Ravitaillement des Contamines
Km 31 : Me voilà aux Contamines après 04h10 de course et à peine 1500m de dénivelé d’avalés.
Laurie m’assiste au ravitaillement et je commence à manger de la soupe de pâtes pour remplir mon estomac avant la nuit. Mon père et ma nièce ont fait le déplacement jusqu’ici mais je ne les trouve pas dans la foule et dois malheureusement repartir, frontale sur la tête pour m’enfoncer dans la nuit. La vraie course commence ici.

Aux Contamines, une deuxième course débute

Je me sens très frais et commence tout doucement à allumer la machine. Je trottine presque sans discontinuer jusqu’à Notre-Dame de la Gorge et entame une des plus belles parties de Pac-man de ma vie.
Alors que je pointais en 451ème position à Saint-Gervais, je reprends beaucoup beaucoup de monde et le terrain me favorise de plus en plus. A La Balme (km 39), je suis déjà 357ème.
Après le ravitaillement (express) de la Balme commence véritablement le col du Bonhomme et une longue période loin de la civilisation jusqu’à Courmayeur. Je connais bien ce long col pour l’avoir repéré en juillet et progresse rapidement sous des milliers d’étoiles. Je ne peux résister à l’envie de me retourner de temps en temps pour admirer les centaines de frontales qui me suivent. Ce peloton resserré de début de course est d’une beauté rare, et je mesure ma chance d’être du spectacle.
Très vite, je me retrouve néanmoins dans la traversée technique entre le col du Bonhomme et le refuge de la Croix du Bonhomme (2450m, 45km, 2900D+) et suis beaucoup plus isolé. Les écarts augmentent de façon perceptible et l’euphorie est maintenant complètement retombée dans le peloton. Chacun se mure dans son rythme, à tel point qu’il devient difficile d’échanger ou même d’avancer à la même vitesse qu’un autre concurrent. Je choisis pour ma part le MP3 pour vivre avec bonheur ce voyage nocturne.
J’appuie encore un peu plus sur l’accélérateur dans la descente vers Les Chapieux (km 50, 07h30). Les sensations sont excellentes, et nutrition comme hydratation se passent pour le mieux. Je suis aux alentours de la 320ème place maintenant et mon plan de course est respecté quasiment à la minute près. Trop facile non ?
Le contrôle de matériel aux Chapieux est vite derrière moi, et je manque de peu de me faire piéger par une soupe aux flageolets (ils sont pas fous en Savoie ou quoi ?!) avant de filer vers la Ville des Glaciers.
Cette portion ascendante de 6km sur goudron qui avait été un vrai calvaire lors de ma reconnaissance, passe cette fois-ci très bien en 40min environ, accompagné d’un Espagnol qui maîtrise aussi bien l’anglais que moi le dialecte ibérique… On poursuit donc notre route en silence (sic) et je le lâche dans les premiers lacets de la longue ascension du col de la Seigne.
Je ne peux en effet pas abandonner ma partie de Pac-man, déjà bien entamée. La Seigne (2507m, km 60, 3870D+), j’en ai de très mauvais souvenirs de toutes mes ascensions, mais cette fois-ci elle passe toute seule… Au sommet, j’ai déjà 60km dans la poche, suis remonté en 274ème position et ai le sentiment d’avoir plusieurs vies à Pacman tellement je vais bien 🙂

Une euphorie piégeuse

Il faut dire que la Petzl Nao nouvellement acquise (et bien réglée sur l’ordi !) fait des merveilles, et que j’ai l’impression de courir comme en plein jour. Cela soulage énormément la concentration et réduit l’effort à fournir.
Je vole jusqu’au Lac Combal (km 65, 10h de course), où Marine, Antoine, Lolo et Julien m’attendent au ravitaillement. Ici commence une nouvelle course : celle avec assistance. Je vais voir du monde régulièrement jusqu’à l’arrivée et cela fait vraiment du bien. Il est 02h30 du matin et je suis 268ème. Je fanfaronne un peu, content de voir du monde et de me détendre. J’ai l’impression qu’il s’est passé 3h depuis le départ plutôt que 10.
Je ne traîne pas et continue ma partie folle vers l’arête Mont-Favre (km 69, 4330D+). Ces 500m de dénivelé sont longs et usants et la fatigue commence tout doucement à se faire sentir, alors que je me sentais si facile. Tout au long du chemin, les vaches endormies plissent les yeux, dérangées par nos frontales. Désolé mesdames !
Sur l’arête, j’enfile ma veste GoodPeopleRun et entame la longue et raide descente vers Courmayeur. Jusqu’au Col Chécrouit (km 73.5), c’est facile. Je m’y arrête quelques minutes pour me faire un super sandwich jambon fromage car il y a un bon moment que je n’ai rien avalé de solide. Puis il faut se résoudre à attaquer ce qui fait mal : la descente de Dolonne et ses marches abruptes et hostiles.
Le chemin est rendu encore plus difficile par la poussière en suspension qui arrache la gorge. 700m de dénivelé au petit train, à rester concentré pour éviter le faux-pas et une chute qui pourrait avoir des conséquences douteuses… Tout cela fait qu’à Courmayeur (km 78, 4350+), j’ai déjà pris un coup derrière la casquette. Pas grand chose, et surtout rien de visible, mais je commets là ma première erreur.

Panne sèche.

Je respecte mon plan de route à la lettre avec un arrêt de 25 minutes (changement de chaussures et de chaussettes) et me sens prêt à attaquer les 45 prochains kilomètres qui sont sans assistance. Tout le monde m’a dit que la course commençait là et je le crois. Ceux qui arrivent frais ici peuvent espérer voir le bout.

Dans la montée suivante vers le refuge Bertone (km 83, 5150D+), j’avance bien et double encore quasiment 20 personnes de plus pour remonter en 190ème position. Puis, juste sous le refuge et encore plus juste après, je paye cash mon manque de lucidité à Courmayeur. En quelques secondes seulement, je titube sur le chemin et suis à peine capable d’ouvrir les yeux. J’ai beau me donner des claques, pousser des cris ou mettre l’iPod à fond : rien n’y fait.  Mon corps dit stop, il veut dormir.
J’ai fait LA course au lieu de faire MA course : j’aurais du m’arrêter dormir à Courmayeur au lieu de blaguer avec mon équipe… Puis j’aurais du dormir à Bertone, mais j’ai décidé de continuer. Me voilà désormais obligé d’avancer tant bien que mal jusqu’à Bonatti puis Arnuva (1771m, km 95, 5500D+), soit 12km dans le coaltar et par un froid glacial. Je suis du mauvais côté de la montagne : le lever de soleil sur le Mont Blanc est grandiose en face mais sur mon versant, putain, ça meule !
Dessin d’encouragement posté par ma soeur Eléonore sur Facebook depuis le Chili, au lever du jour.
Je n’avance plus du tout, obligé de marcher là où je pensais trottiner et gagner du temps. Le chrono s’envole et je suis à ce moment sérieusement inquiet pour la suite des opérations. Je ne pense qu’à une chose : dormir.
L’ultra est une science complexe : 1h plus tôt je me sentais invincible dans ma partie de Pac-man interminable, et me voilà maintenant bloqué au premier niveau à me cogner sans arrêt contre les murs du labyrinthe… J’ai vécu cette situation des dizaines de fois en voiture : une furieuse envie de fermer les yeux alors que le cerveau sait qu’il faut les ouvrir grand… Enfin, après près de 2 heures à tâtons, je parviens à Arnuva en 16h10 de course et m’écroule sur une table bien poisseuse pour dormir.
20 minutes plus tard, j’ai à peine fermé l’œil mais me sens mieux. 
Enfin, pas tant. Je me lève trop vite et visite l’intégrale de la voie Lactée en quelques secondes. Tout se brouille : je transpire, je vais vomir. Si je vomis, c’est fini. Je lutte, et puis, miracle, cela passe. Je décide de prolonger la pause et vais me faire masser tout en récupérant de ce petit malaise passager.

Le soleil, nouveau départ.

Je ressors requinqué après 45 minutes passées dans ce bout du monde, au fond du Val Ferret. J’ai perdu 70 places, mais gagné le droit de continuer. Devant moi se profile le Grand Col Ferret (2527m, km 100). 
Pas long, mais très raide. Je mettrai 1h10 à le monter, transi de froid, et pourtant plus rapide que la plupart des autres coureurs. Au sommet, il est 10h30 et je passe enfin au soleil, en 266ème place. Je vais mieux et reprends confiance.
Cela tombe bien, car on entre dans une partie redoutée de tous les adeptes de trails à bouquetins comme moi : la descente vers La Fouly puis vers le début de la montée de Champex. 
Presque 15km de faux-plat descendant, sur lequel il faut se forcer à courir pour garder le sentiment que l’on avance.
Curieusement, je n’ai pas de crampes et tout se passe bien pour assimiler boissons et nourriture. Je suis  (très) chanceux de ce côté là ! Ma sieste a bien fonctionné et je peux suivre ma stratégie de course qui consistait à courir dans toutes les descentes. 
Je reprends même du temps sur mon planning et me mets à rêver aux 30h.
Je ne traîne pas à La Fouly (km 110, 19h20 de course) et continue mon bonhomme de chemin sur cette partie que je hais. 
Tantôt goudronnée, tantôt gravillonnée, il faut courir, et avec près de 115km dans les jambes, j’aurais plutôt voté pour de la marche en montée.
De la montée, en revoilà justement, pour aller à Champex. L’assistance et les sourires de mon équipe sont tous proches. 500m de dénivelé exactement. Il me faudra tout de même près d’une heure pour les atteindre. Là haut, il restera 45km et 2700m de dénivelé. Une bagatelle…
Km 124, 7000D+ – Champex : 21h45 de course. Il reste un gros quart de la balade à couvrir.

En me voyant arriver, Laura et toute l’équipe comprennent que le chemin a été long et difficile. Courmayeur est loin et j’ai perdu mon visage détendu… J’ai le masque, je souffre, et cela se voit. J’ai du mal à me ravitailler en solide, et je suis très marqué. Je refais un passage chez les kinés pour soulager mes quadriceps, puis me fais violence pour repartir, encore et toujours.
Cette fois, le plaisir est un peu loin. Cela fait presque 40km qu’il m’a quitté et que je me bats, dans un milieu devenu franchement hostile. C’est dans ce contexte que se présente Bovine, le juge de paix de cette course, la montée des braves.

Bovine, la montée des braves

Elle ne fait pourtant que 700m de dénivelé, mais, droit dans la pente à escalader les marches irrégulières, j’implose. Je suis au bout de mes forces, je m’arrête tous les 50m, vidé, les yeux rivés sur un altitude qui stagne. Ma vision se trouble et j’ai du mal à avancer. Pourtant, il le faut. Je mettrai près de 2 heures (350m/h!!) à atteindre le sommet, dans une douce souffrance (je n’ai mal nulle part…) comme je n’en ai jamais connue.
Je suis un teigneux, j’aime aller au bout, je suis fier de n’avoir jamais abandonné, mais là j’ai franchement envie d’arracher le dossard. Je ne rêve que d’un lit. Si je ne dors pas, je n’y arriverai jamais. Chamonix est si loin, que 36km sont impensables dans cet état.
Je me traîne jusqu’au Col de la Forclaz, encouragé par mon père, puis jusqu’à Trient (km 140, 7800D+). Je suis de nouveau 190ème mais je ne tiens plus debout. Las, je tourne en rond. Je veux aller dormir mais passe d’abord par le ravitaillement. Je suis un peu perdu. Je suis fâché contre moi, je n’y crois plus, je ne veux pas continuer sans dormir pour mettre 40h à boucler l’affaire. Personne ne m’empêche pourtant de m’allonger…
Puis, je trouve un lit, demande à être réveillé 30min plus tard et m’endors instantanément. Bonheur absolu.
Quand vient l’heure de se réveiller, je suis beaucoup trop bien pour me remettre au boulot, et j’annonce 30 minutes supplémentaires… Je me rendors aussi sec, ne faisant que repousser l’échéance d’un réveil difficile.
Et, il le sera. Les muscles totalement raidis, je me relève complètement réveillé, avec l’envie d’aller au charbon et de mettre un point final à tout cela. J’ai passé 1h30 à Trient, et suis revenu 270ème…
Heureusement pour moi, la montée vers Catogne (km 145, 8800D+) démarre sans transition, et autorise la marche, ce qui est toujours plus agréable pour réveiller les muscles…Celle-là aussi est très longue, mais je reprends progressivement du poil de la bête, et des concurrents. Il y a un décalage entre mon rythme et celui des gens qui m’entourent, qui fait que je passe mon temps à doubler. Bon pour le moral, un peu frustrant quant à la gestion de course puisque j’aurai passé mon temps à faire cela.

« Je vais voir Chamonix »

Le sommet est bientôt en vue, et les derniers rayons de soleil sur le glacier du Trient valent le coup d’oeil. Il faut déjà rallumer la frontale mais je suis désormais confiant. Mon gros coup de moins bien est passé, et je n’ai guère de doute sur le fait que je vais voir Chamonix. Je reprends encore beaucoup de places dans la descente technique sur Vallorcine et y projette déjà un arrêt express pour en terminer le plus vite possible.
A Vallorcine (km 150, 29h de course), il reste 18km et presque 900m de dénivelé. 4h à la louche, ce qui me mettrait aux alentours de 33h. Je suis un amoureux des chiffres, et même après 29h d’effort, je suis encore en train de faire des stats sur mon heure d’arrivée… Il est temps de repartir, en marchant puis trottinant vers le Col des Montets. Là, mon regain de forme commence à être vraiment étonnant, et contraste avec l’état agonisant de la plupart des autres coureurs.
Au col, il y a beaucoup de monde que je connais (merci Marie/Cyril et Margaux/Oliver pour le coup de pouce final!), et cette fois-ci c’est la dernière fois que je perds de vue mon équipe avant Chamonix.

A fond les manettes !

Je grimpe la Tête aux Vents à près de 800m/h (!), à la limite de mes possibilités. Je veux avancer le plus vite possible, et tenter de rentrer dans les 200 premiers. C’est un peu ridicule, car tout le monde autour de moi se fout du classement, mais moi cela me fait avancer. Alors je reprends une dernière partie de Pac-man.
Au sommet, à 2.000m, je sais que le plus dur reste à faire. Alors que l’on aperçoit les premières lumières de Chamonix 1.000m plus bas, il faut encore rejoindre la Flégère par un traversée très technique et courir les 8 derniers kilomètres bien cassants.
L’ensemble des chemins de l’UTMB est assez facile, exception faire de quelques portions comme la descente de Dolonne, Bovine, ou la descente sur Vallorcine. Mais, le plus dur se trouve là, sous mes pieds,  au coeur des Aiguilles Rouges, après presque 160km.
Je trouve la force de relancer sur quelques sections et reprends pas mal de formes recroquevillées sur leurs bâtons. Un petit mot d’encouragement et je poursuis ma route. Tous ces coureurs verront Chamonix maintenant. J’atteins la Flégère (1860m, km 161, 9800D+) à minuit. J’ai repris beaucoup de temps et vais passer sous les 33h. Inespéré quelques heures plus tôt.
J’y suis, je tiens le bon bout, je n’ai plus qu’à descendre. Et je descends bien, probablement 2 fois plus vite qu’à la CCC il y a trois ans. Je me fais presque plaisir tant les sensations sont bonnes. Je suis épaté d’être en si bon état musculaire après 32 heures. Finalement, seul le sommeil m’aura vraiment manqué pendant une partie de la course où j’ai baissé pavillon.
Le sentier laisse bientôt place à une piste, puis au goudron, marquant l’entrée dans Chamonix. J’ai repris 15 personnes depuis la Flégère, et c’est avec le sentiment du devoir accompli que je longe l’Arve. Je savoure ces 500 derniers mètres. Je m’étais imaginé des tas de scénarios pour ce moment, mais les sentiments sont plutôt absents. Je suis juste heureux, pas béat, heureux. Fier d’avoir surpassé les barrières mentales qui me disaient de m’arrêter alors que le corps était, lui, toujours vaillant.

Une épreuve mentale hors-normes

Alex, qui ne devait pas être là aujourd’hui, surgit de nulle part. Il est venu de Lyon exprès pour voir ça, c’est génial. Toute l’équipe qui m’a suivi toute la journée est là, au grand complet. Tous sont fiers de me voir franchir cette ligne, 32h27 après l’avoir quittée.

Je ne suis décidément pas un grand sentimental : pas de larmes ni de démonstration de joie, tout cela est à l’intérieur. Je suis fier de moi, je suis heureux d’avoir réussi mon pari débile de la fin et de prendre la 199ème place. Je n’ai connu aucun souci : pas un mal de ventre, pas une crampe, pas une ampoule, rien. Tout m’a souri dans cette course, couru par une météo on ne peut plus clémente. Un jour fait pour ça surement.
Je prends le temps de remercier tout le monde, et profite de cette aire d’arrivée dont j’ai rêvé tout au long de la journée. J’ai perdu la notion du temps, et me dis que tout cela est finalement passé plutôt vite. Trop vite presque.
Déjà, il faut reprendre la voiture et filer vers une nuit bien méritée. Elle sera courte, mais calme. Le lendemain, je suis encore sur mon nuage, et vais y rester un certain temps. J’ai du en redescendre avant de pouvoir revenir sur cette expérience et la partager.
168km, c’est très long. 10.000D+, c’est très haut.

Rien à voir avec un 100km classique, tant la nuit passée dehors fait toute la différence. Un combat encore plus mental que physique, puisque j’ai fini sans soucis particuliers, à un rythme pour lequel j’aurais signé au départ. J’ai eu de la chance, tout autant que les 1700 coureurs qui ont vu Chamonix (seulement 30% d’abandons), grâce à des conditions exceptionnelles et une organisation sans faille.

Le niveau est relevé, mais le classement importe peu, la tête de course est à des années-lumière devant et nous ne jouons pas dans la même cour. Faire SA course, pour avoir chacun sa victoire. Ce n’est pas des paroles en l’air. Respect à ceux qui auront passé 12 à 13h de plus que moi sur le parcours. 
Et un immense merci à toute l’équipe qui m’a assisté, supporté, poussé…ainsi qu’aux dizaines de messages de soutien/félicitations que j’ai reçus. Je n’aurais jamais pensé susciter un tel engouement et comme je l’ai dit à l’arrivée, je ne suis que le champion du quartier :)… Alors, merci, tout simplement.
Merci à Isostar, New Balance, Compressport et Salomon, sans qui tout cela serait pareil mais très différent.
UTMB
Stay tuned!
Timoth
Images : droz-photo.com, Laura, Marine, Lolo, Alex, Laure-Anne.


24 réponses

  1. Félicitations ! T'as su gerer le bonhomme et dire à ton mental de te laisser tranquille pour finir. Chapeau. Suis pas sur que je serai reparti après des siestes aussi longues que celles que tu t'es imposé.

  2. Magnifique compte-rendu et une véritable gestion de course de champion.
    Etre finisher de l'UTMB est déjà un bel exploit mais finir dans le top 200 est carrément une superbe performance, bravo !

  3. Well done Tim ! Pendant ma longue pause "forcée" de 3 ans, j'ai lu moins de CR de courses pour ne pas rester sur ma faim (ou fin), mes les tiens se dévorent toujours autant ! Merci pour ces bons moments que tu nous fais partager et courage pour la suite !

  4. Merci pour ce CR qui montre bien toute la difficulté d'une telle épreuve.
    Tu dois être sur un petit nuage.
    Encore bravo, ta ténacité et ta combativité t’ont menées jusqu'au bout!

  5. Bravo, une belle course malgré ta panne sèche, je connais bien cette sensation des yeux qui se ferment aussi (seulement en voiture par contre!)…

    Dans le Grand Col Ferret tu crois que tu aurais du avoir une micropolaire en plus? Au début je pensais que tu n'avais que la veste GPR mais sous la photo de Trient on voit une veste noire, Salomon Bonatti peut-être, au mieux tu avais ça et un teeshirt + manchettes sur le dos?

    A Courmayeur il était 5h du mat', en dormant 30min tu aurais été plus frais, tu passais sous les 30h, mais c'est ça qui est intéressant aussi sur si long c'est qu'il y a une partie technique/tactique tout comme mentale/physique, et encore quand je pense à ceux qui sont encore en train de courir sur le Tor…

    1. Merci Nicolas!
      Honnêtement, je n'ai pas trop souffert du froid et il n'était pas suffisant dans le grand Col Ferret pour trop se couvrir. J'avais la plupart du temps juste T-Shirt/manchettes et la veste GPR par dessus.
      J'ai d'ailleurs passé toute la première nuit en T-Shirt, et la Bonatti respire pas grand chose, alors je l'ai mise que quand j'avais vraiment un coup de moins bien…
      Eidemment, on peut refaire la course, mais je suis content d'avoir emmagasiné de l'expérience, et je saurai pour la prochaine fois !

  6. Un immense bravo pour ton exploit, un immense merci pour ton texte… ! Je rêve de le faire un jour, peut être que j'y arriverais 🙂 Je suis ému par ton texte qui fait ressentir à la fois la difficulté et la beauté de l'épreuve !

  7. Bravo pour ta performance et TA victoire Timothée ! Comme d'hab, j'adore te lire parce que les mots sont très bien choisis, touchants et accompagnés de belles photos !
    Encore bravo et au plaisir de se croiser…

  8. Je suis admirative de la performance et de la rage d'aller jusqu'au bout de l'aventure !
    En vous lisant, des larmes d'émotion. Les mots parlent et font passer des messages forts.
    Je suis sportive et je devine la souffrance, la fierté, la joie, l'envie de tout lâcher et la rage de continuer…
    Chapeau bas !
    Marie, collaboratrice de Maguelone

    1. Merci Marie,

      Effectivement, dans ce genre d'épreuve, on s'éloigne parfois plus ou moins longtemps de la course à pied pour mener un combat contre soi-même et repousser les limites toujours un peu plus loin !

  9. Superbe performance, vraiment bravo. Avec ton récit je me suis rappelé de toute cette émotion vécue les trois fois où je l'ai courue, ça m'a fait un bien fou. Une motivation sans faille, bravo. Bon courage pour la suite.
    Thierry

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